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Tribune : Cessez de parler « d’autocensure »

Image générée par IA

Cessez de parler « d’autocensure » : ce ne sont pas les femmes qui se taisent, ce sont les structures qui les réduisent au silence

Parler d’autocensure pour expliquer la faible présence des femmes dans les espaces de pouvoir, de savoir ou de parole est devenu un réflexe, presque un lieu commun. Si elles ne s’expriment pas, c’est qu’elles n’oseraient pas. Si elles n’occupent pas certains postes, c’est qu’elles ne s’y projetteraient pas. Cette interprétation, aussi répandue que commode, occulte une réalité bien plus structurelle : ce ne sont pas les femmes qui choisissent de se taire, ce sont les institutions, les normes et les dynamiques de pouvoir qui les y contraignent.


Des interprétations erronées qui déplacent la responsabilité


Sous couvert d’objectivité, l’idée d’autocensure opère un glissement insidieux : elle fait porter aux femmes la responsabilité de leur propre invisibilisation. Comme si le problème n’était pas dans l’environnement, mais dans leur comportement, leur manque de confiance ou une prétendue réserve naturelle. Or, les recherches montrent que dans un climat inclusif et équitable, les femmes prennent la parole autant que les hommes. Ce n’est donc pas le courage qui leur manque, mais des conditions propices à l’écoute et à la reconnaissance.


Lorsque les femmes hésitent à s’exprimer, à publier ou à postuler dans des secteurs historiquement masculins, est-ce vraiment par choix ? Ou s’agit-il d’une réponse rationnelle à un environnement où elles savent que leurs interventions risquent d’être minimisées, interrompues, voire reprises à leur compte par certains hommes qui s'en attribuent alors le mérite ? Parler d’autocensure dans ces cas-là, c’est ignorer les sanctions – explicites ou implicites – qui pèsent sur leurs prises de parole.


Une parole toujours sous surveillance


Le paradoxe est connu : quand les femmes parlent peu, on leur reproche leur silence ; quand elles s’expriment avec assurance, on les juge trop émotionnelles ou alors trop directes voire autoritaires. Ce double standard crée un climat où toute intervention devient un exercice d’équilibriste. Il faut parler – mais pas trop. S’imposer – mais sans heurter. Se faire entendre – tout en restant aimable.


Dans le monde académique, cette tension est particulièrement manifeste. Les chercheuses sont moins sollicitées comme expertes, moins invitées dans les conférences, moins citées dans les publications. Et quand elles accèdent à la visibilité, elles doivent encore prouver leur légitimité, souvent davantage que leurs homologues masculins.


Changer les mots pour changer le regard


Le terme « autocensure » a l’apparence de la neutralité, mais il masque les rapports de force. Il invisibilise les mécanismes d’exclusion, le sexisme intériorisé, les normes implicites qui définissent qui a le droit de parler – et d’être écouté. Plutôt que d’enjoindre aux femmes de « prendre la parole », il est urgent d’agir sur les causes systémiques de leur invisibilisation.


Cela suppose de :


• Limiter les interruptions et le mansplaining dans les réunions ;

• Assurer une représentation paritaire dans les comités et les organes décisionnels ;

• Reconnaître et valoriser à égalité les contributions des femmes ;

• Interroger les biais à l’œuvre sur la légitimité de celles et ceux qui s’expriment.


Cesser de confondre la cause et la conséquence


En définitive, ce que l’on nomme « autocensure » n’est bien souvent qu’une adaptation à des environnements où la parole des femmes est empêchée par des contextes sexistes et des dynamiques de pouvoir. Ce n’est pas aux femmes de « parler plus fort », mais aux institutions de créer les conditions d’un véritable accès à la parole, dans toute sa diversité.


Changer les mots, c’est déjà commencer à changer le regard. Et ce changement de regard est indispensable pour ouvrir la voie à une transformation profonde en vue de l’égalité réelle entre femmes et hommes. C’est pourquoi il est temps de délaisser le mot « autocensure » pour nommer convenablement cette cause et parler dorénavant de censure sociale et institutionnelle.



Version pdf de cette tribune : ICI




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